jeudi 18 juillet 2013

Le Coeur Cousu, Carole Martinez


'Ecoutez, mes sœurs ! Ecoutez cette rumeur qui emplit la nuit ! Ecoutez... le bruit des mères ! Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines. Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recettes se côtoient. Les douleurs muettes de nos mères leur ont bâillonné le cœur. Leurs plaintes sont passées dans les soupes : larmes de lait, de sang, larmes épicées, saveurs salées, sucrées. Onctueuses larmes au palais des hommes !' Frasquita Carasco a dans son village du sud de l'Espagne une réputation de magicienne, ou de sorcière. Ses dons se transmettent aux vêtements qu'elle coud, aux objets qu'elle brode : les fleurs de tissu créées pour une robe de mariée sont tellement vivantes qu'elles faneront sous le regard jaloux des villageoises ; un éventail reproduit avec une telle perfection les ailes d'un papillon qu'il s'envolera par la fenêtre : le cœur de soie qu'elle cache sous le vêtement de la Madone menée en procession semble palpiter miraculeusement... Frasquita a été jouée et perdue par son mari lors d'un combat de coqs. Réprouvée par le village pour cet adultère, la voilà condamnée à l'errance à travers l'Andalousie que les révoltes paysannes mettent à feu et à sang, suivie de ses marmots eux aussi pourvus - ou accablés - de dons surnaturels...


Une fois n’est pas coutume, je vais commencer cette chronique par les premières lignes du prologue :

« Mon nom est Soledad.
Je suis née dans le pays où les corps sèchent, avec des bras morts incapables d’enlacer et de grandes mains inutiles.
Ma mère a avalé tant de sable, avant de se trouver un mur derrière lequel accoucher, qu’il m’est passé dans le sang.
Ma peau masque un long sablier impuissant à se tarir.
Nue sous le soleil peut-être verrait-on par transparence l’écoulement sableux qui me traverse.
LA TRAVERSEE
Il faudra bien que tout ce sable retourne un jour au désert. »

Après avoir lu ces quelques lignes, j’ai serré ce livre contre moi : le titre est beau, c’est une édition Gallimard (j’aime ces éditions que je trouve très élégantes, argument pas très valable, je sais, mais on a tous nos petites manies, non? et il existe aussi en poche!), et ces mots me parlent. Je veux en savoir plus.

Dans un village reculé du sud de l’Espagne, des femmes se transmettent de génération en génération une boîte mystérieuse. Frasquita y découvre des fils et des aiguilles, et son don s’éveille : elle répare et sublime tout à l’aide de sa boîte.

Voici le point de départ de ce roman inoubliable. Ce fut un véritable coup de foudre littéraire. Il m’a envoutée, m’a possédée. Je me suis immergée dans cet univers magique et pourtant tellement palpable.

Au fil de la lecture, j’ai vécu au rythme de toute une palette d’émotions : ma gorge s’est serrée, j’ai ri, pleuré, j’ai voulu être seule pour le savourer, j'ai voulu le partager. « Oh…non, ce n’est pas possible. C’est trop dur… Je ne serai pas capable de continuer, comment peut-il faire cela ? » Et j’ai continué quand même, parce que je ne pouvais pas faire autrement.

Ce roman est tissé d’autant de fils d’émotions que de bobines contenues dans la boîte. On vit chaque mot, chaque phrase de cette écriture si travaillée, si ressentie, on respire chaque situation. J’en ai été bouleversée. Devant mes yeux s'est tissé un conte poétique d'une rare justesse, c'est le livre que j'aurais aimé être capable d'écrire.

Ce bal des émotions peut malgré tout être dérangeant, je dois le dire. Une de mes amies a mis un an pour le lire, elle ne pouvait faire face à certaines d'entre elles, notamment la rudesse de certains passages (inutile de vous mentir, certains sont vraiment difficiles, et exacerbés par cette écriture qui met toujours dans le mille), mais comme elle me l'a confié, "Cela n'entache en rien la grande qualité du roman, il est même trop bien écrit, on est à nu devant lui..."

Le Cœur cousu est  devenu un vieil ami que je chéris et que je cajole parfois, en caressant sa couverture en quête de ces moments passés ensemble.
 
J’ai dit dans une chronique précédente que j’aime les livres qui ont une âme. La sienne est magnifique.
 


6 commentaires:

  1. J'ai lu cet ouvrage il y a temps mais il m'a également laissé un très beau souvenir. Je ne sais pas si le rapprochement est bon, mais je te conseille "L'Art de la joie" de Goliarda Sappienza. Ils ne m'ont pas fait pensé l'un à l'autre lorsque je les ai lus, mais en lisant ta chronique, oui... Enfin, je ne sais pas si je suis claire mais je te conseille la lecture de ce roman que j'ai trouvé magnifique et qui m'a beaucoup marquée.

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    1. Je prends note de l'Art de la Joie. Je ne connais pas, s'il t'a laissé une telle trace, il mérite la peine qu'on s'y intéresse! Merci beaucoup!

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  2. Merci de ton passage :)

    Ce roman est superbe ! Je me souviens encore de l'histoire, ça m'a marqué !
    Une belle écriture et une histoire splendide.

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  3. Coucou Céline, en cherchant ton billet sur "Falaises" d'Olivier Adam, je suis tombée sur ce livre. Je l'ai rajouté au bas de ma critique...
    (si jamais tu as fait un billet sur Falaises j'adorerais le rajouter sous ma critique. Mais je ne le trouve pas... si jamais tu peux venir mettre le lien en commentaire à mon billet)
    Bisous et bonne semaine à toi

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    1. Je n'avais pas de blog à l'époque, donc pas de billet, malheureusement...

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