jeudi 27 février 2014

Enig Marcheur, Russell Hoban



Dans un futur lointain, après que les feux nucléaires aient ravagé le monde le Grand Boum, ce qui reste des hommes est retombé à l'âge de fer, leur survie sans cesse mise en péril par les chiens mangeurs d'hommes et les autres clans. L'ignorance, la peur et les superstitions ont pris le pouvoir, et la langue n'est désormais plus qu'un patois menaçant et vif dans lequel subsiste par fragments les connaissances du passé. C'est là qu'Enig Marcheur, douze ans, va prendre la décision inédite de mettre par écrit les aventures hors normes qu'il mène à la poursuite de la Vrérité en revenant sur les pas des hommes à l'origine du Sale Temps.

Notre langage est régi par des normes (orthographe, grammaire, ponctuation) afin entre autres de faciliter l’accès au sens, notamment à l’écrit. La langue évolue au fil du temps, souvent fidèle reflet de la société, mais ses bases sont là, et si sa perméabilité est synonyme du temps qui passe (de nouveaux mots fleurissent tous les ans dans le dictionnaire par exemple), la rigidité induite par ces règles garantissent cette compréhension, cette communication.

Je ne sais pas vous, mais j’ai beaucoup de mal avec l’écriture SMS. Je dois être de la vieille école (pas si vieille pourtant !), mais il me faut toujours un laps de temps pour les décoder, parce que mes repères orthographiques, grammaticaux ne sont plus. Il m’a fallu du temps pour m’habituer aux « JTM » ou aux « Me 2 » que m’envoie mon homme, j’ai toujours besoin d’une fraction de seconde supplémentaire pour que l’information monte à mon cerveau. A cause de l’écriture.

Il en va de même lorsque je lis un roman. J’exècre les coquilles pour ne pas dire les fautes d’accords qui nuisent à ma bonne compréhension. Je peux être hermétique à un passage entier à cause d’un participe passé mal accordé. Une ponctuation mal agencée peut me faire passer à côté d’une palette d’émotions, une ponctuation pertinente me transporter au 7è ciel. La grammaire, l’orthographe sont pour moi autant de repères dans et de notre société, et sont des vecteurs de sens, de sensations.

Imaginez maintenant un monde dans lequel la langue n’est plus fixée. Un monde où l’apocalypse a eu lieu, où il ne reste rien de ce que nous avons connu, et où les survivants ont perdu le pouvoir testimonial de l’écriture. Et il n'y a personne pour leur transmettre ce pouvoir. La survie est une priorité, celle-ci non. L’oralité reste, mais l’écrit s’est perdu. Et l’écrit est finalement le seul fidèle pilier des souvenirs de la société. L’on peut transmettre des histoires à l’oral, mais celles-ci sont inévitablement déformées, l’Histoire devient légende. Où est la vérité dans ce qui est devenu un mythe ?

Enig Marcheur a douze ans. L’école, il ne connait pas. Voyagent des histoires de chiens mangeurs d’homme. On ne sait plus où se trouve cette Vrérité, on ne sait plus démêler le vrai du faux. La société se reconstruit, mais le chemin qu’elle emprunte est semé d’embuches. le mensonge, la gnorance en sont sans doute les pires. Mais parce que l’espoir nait des enfants, parce qu’il en faut toujours Un pour initier un mouvement, Enig décide de coucher par écrit ses aventures à la recherche de cette Vrérité, du pourquoi de ce Sale Temps.

Véritable expérience, Enig Marcheur est un roman hors norme. Au-delà du monde dépeint, horrible, terrifiant, poignant, la langue est audacieuse, provocante. Oubliez ce que vous avez appris et déchiffrez ce monde. Entrez dans l’expérience Enig.

Enig écrit comme il s’exprime, et son innocence toute infantile guide ses mots. Mais les mots sont détruits, il n’y a plus de codes. Mais il veut parler, décrire, il veut relater.

« Le jour de mon nommage pour mes 12 ans je suis passé lance avant et j’ai oxi un sayn glier il été probab le dernyè sayn glier du Bas Luchon. Toute façon y en avé plu eu depuis long tant avant lui et je me tends plus à en rvoir d’aurt. Il a pa fait le sol trembler ni rien quand ila foncé sur ma lance il été pas si gros en plus semblé chétil. Il a fait le requyrin sest tourné sest dressé a claqué des croh et en suite voilà »

Dans la naïveté de ces mots, dans ce rythme qu’il faut trouver, dans les limites sans cesse repoussées, la clé de ce monde est là… 

Évidemment, Enig Marcheur a été un défi. Obligée de lire à voix haute, ou de formuler sur mes lèvres certaines passages, je me suis habituée, et je suis entrée dans l’expérience Enig, qui m’a poussée à voir au-delà des mots. Atypique, mais bouleversant, allez y jeter un coup d’œil en libraire pour gouter à cette expérience…

mardi 25 février 2014

Jeu de patience, Jennifer L. Armentrout



Ne jamais ôter son bracelet, être ponctuelle, ne pas attirer l’attention : tels sont les trois préceptes qu’Avery s’est imposé pour son entrée à la fac. Une stratégie que le séduisant Cameron Hamilton pourrait bien déjouer à coups de regard pénétrant et de sourire enjôleur. Patient et obstiné, lorsque Cam a jeté son dévolu sur quelqu’un, il ne recule devant rien rien, excepté peut-être le passé d’Avery, qui semble s’acharner à ressurgir. Ensemble, seront-ils capables d’affronter le souvenir de cette terrible nuit qui, cinq ans auparavant et à des kilomètres de là, a tout changé ? 

Je ne suis qu’une faible femme. Je ne suis vraiment qu’une faible femme. 

Commencé hier soir vers 22h, fini ce matin à 2h. Impossible de m’arrêter, même si j’ai tenté de résister, de me raisonner avec des « Ce n’est pas bien, demain tu vas être crevée », « Tu as plein de choses à faire demain, il faut dormir », « Allez, tu sais bien que sans tes huit heures de sommeil, tu n’es rien, tu le finiras demain ». Niet. Nada. Nothing… Je suis pourtant d’ordinaire quelqu’un de raisonnable, mais rien n’y a fait. Les pages ont défilé, les unes après les autres, et maintenant, à mon grand désarroi, je suis là, comme une idiote, à fureter dans ma PAL dans l’espoir d’y trouver une lecture qui me transportera autant, tout en étant consciente que si j’opte pour un roman de ce genre, il risque de ne pas être à la hauteur. 

Pourquoi ai-je plongé jusqu'à cette noyade dans les émotions? Pour beaucoup de raisons, très classiques c'est vrai, très peu originales, je le reconnais, mais tellement efficaces! 

L'héroïne, qui cache un profond traumatisme qui a bouleversé et marqué sa vie au fer rouge, est profondément attachante, le héros, parfait –sauf peut-être cette légère tendance à porter des casquettes de base-ball, mais je lui pardonne cette faute de goût-, les personnages secondaires sont teintés d’humour (Jacob et Britany sont les amis que l’on aimerait tous avoir), il y a des personnes détestables, des beaux gosses, quelques chipies...Un panel varié de personnages qui donne lieu à une foule de situations et de possibilités.

Les personnages se construisent à partir et autour de sujets graves, sans tomber dans un pathos malvenu, dans un sentimentalisme exacerbé qui aurait nui au roman. Si Avery est forte, elle n’a rien à voir avec des héroïnes du même genre. C’est avant tout une survivante qui a su me toucher jusqu'aux larmes. Elle ne veut rien d 'autre que vivre normalement, elle désire aller au-delà du drame féminin qu'elle a subi, tourner cette page pour enfin se reconstruire une vie. Dans cette fuite en avant, c’est un personnage délicat, bien sûr hésitant parfois, qui franchit les obstacles un à un, et qui s’ouvre peu à peu à Cam, qui a quant à lui la patience d’un ange (l’homme parfait je vous dis!) sans être aussi lisse qu'on ne pouvait le penser au départ…

L’histoire en elle-même ne sort pas des sentiers battus, mais elle est très bien menée et m'a prise par la main sans me lâcher jusqu'au final. Il ne se passe pas grand-chose à vrai dire, mais tout ce qui s’y déroule le fait avec une rare intensité, que ce soit l’émoi, le désir, la tristesse, voire même le dégoût. Chaque page est porteuse de son lot d’émotions, et je suis tombée à chaque fois dans le piège plutôt prévisible de ce qui allait se passer. Cela va même plus loin, j’ai savouré cette prévisibilité, cette anticipation des sensations que je sentais naître puis éclore, portées par cette écriture agréable, qui, New Adult oblige (je m’interroge sur ces fameuses catégories, concrètement, ça veut dire quoi ? Moins trash, plus délicat ? Mais moi, je suis une « vieille adulte », et j’aime le délicat…), évite les écueils de la vulgarité tout en se parant d’érotisme et de sensualité. Je crois même que j'en aurais été déçue s'il n'en avait pas été ainsi...

Bon, maintenant, j’ai un gros problème : je lis quoi après ça ?

jeudi 20 février 2014

L’histoire très ordinaire de Rachel Dupree, Ann Weisgarber



Isaac et Rachel Dupree avaient de quoi être fiers. Premiers fermiers noirs des Badlands, à la tête d’un domaine de cent soixante hectares, l’ancien soldat et la petite cuisinière de Chicago se voyaient déjà faire jeu égal avec les pionniers blancs. Mais face à la sécheresse et à la pénurie de 1917, l’ambition démesurée d’Isaac ne fait qu’aggraver la situation de sa femme enceinte et de leurs cinq enfants, poussant cette dernière à prendre de graves résolutions.

Comme n’importe quelle femme, Rachel, cuisinière chez une noire qui a gravi les échelons de la société en ouvrant une pension pour noirs dans la ville de Chicago, a des rêves. Qu’Isaac, le fils de sa patronne, la remarque. Il ira jusqu’à l’épouser, parce que dans cette Amérique qui s’émancipe, toute personne vaut de la terre, même une femme, même une noire. Et son rêve adoptera la forme d’une transaction, mais qu’importe, il prendra forme.

Son autre rêve : avoir une maison en rondins, signe d’aboutissement. Rachel est une femme forte, travailleuse et courageuse, et au fil des saisons dans les terres ingrates des Badlands (Dakota du Sud), elle gagnera le respect –une forme de l’amour- de son mari, et fera sortir de terre, à la force de ses bras, sa maison en rondins tout en élevant ses enfants. 

Une vie accomplie. Ou presque.

Le climat n’épargne personne, et la sécheresse est la même pour tous, que l’on soit blanc, noir ou indien. 
Dès le début in medias res, l’on sent, sous l’âpreté de la plume d’Ann Weigardber, fidèle reflet de l’aridité des terres, que Rachel est une femme comme les autres  mais que, comme bon nombre de femmes de l’époque, elle est extraordinaire, même si l’Histoire les a oubliées. L’auteure ne nous narre pas de grands combats, ne nous livre pas une histoire pleine d’aventures. Elle se contente de porter son regard sur le destin de cette femme, et avec brio nous relate son combat, sa survie alors qu’elle porte à bout de bras ses enfants et son mari –qui pour égaler les blancs veut toujours plus de terres, n’hésitant pas à mettre sa famille en danger.

Le regard est critique sur cette société qui se cherche et dans laquelle, en apparence, les femmes ne sont que des pions, alors qu'elles sont finalement des piliers sur lesquels prendre appui, sur ces blancs qui se croient supérieurs aux noirs qui eux-mêmes se croient supérieurs aux indiens, même si, comme le constate Rachel, le même sang coule dans leurs veines.

Je m’attendais à lire une saga, une épopée, et j’ai lu le destin bouleversant et dramatique d’une femme, et je n’ai pas été déçue. L’auteure a eu le talent de la sobriété des mots pour transcrire les émotions, et c’était suffisant. Une belle découverte...

dimanche 9 février 2014

La meute du phoénix, Tome 2 « Dante Garcea », Suzanne Wright



Jaime Farrow a toujours eu le béguin pour Dante. Mais lorsque leur meute a été divisée, ils se sont perdus de vue. Désormais adultes, et réunis dans la meute du Phénix, leur retrouvailles auraient pu être torrides. Sauf que le Beta de la meute n a de place dans sa vie que pour son travail et que Jaime est tourmentée par un lourd secret. Mais si ce qu elle cache met la meute en danger, Dante doit le découvrir même si pour cela il doit se soumettre à la tentation.

On a tous nos petits penchants inavouables, et moi, que voulez-vous… J’aime cette saga.

OK, rien d’original, c’est vrai. Mais qu’importe. Suzanne Wright est douée dans la romance paranormale. Tout y est : des frissons, de la passion, la gorge qui se serre, les papillons dans le ventre ; et ces éléments sont habilement distillés : pas trop de vulgarité, des scènes sensuelles, du sexe mais jamais à l’extrême, de l’humour, une bonne histoire…

Je dois reconnaître que je préfère Pierrafeu (Trey –héros du tome 1) à Popeye (Dante –héros du tome 2)… Mais Greta reste Greta, et la meute est vraiment très attachante. L’auteure a le don de nous donner envie d’en savoir plus sur chacun des membres. Ça tombe bien, chaque tome s’attarde sur l’un d’entre eux, sans jamais oublier les autres. L'on retrouve Trey et Taryn, par exemple, fidèles à eux- mêmes, et l'on sent que quelque chose de croustillant nous attend avec la relation Nick / Sasha.

Pas besoin d’en rajouter, tout est dit. Ah si… Tome 3 ? Arggg, il n’est pas encore paru en VO… Il va falloir attendre.

samedi 8 février 2014

L'ami du défunt, Andreï Kourkov



Un jeune traducteur au chômage, que sa femme vient de quitter, noie son chagrin dans des litres de thé, de café et de vodka. Le désespoir et l'alcool aidant, il décide de programmer sa propre mort et engage un tueur professionnel. Lorsqu'il reprend goût à la vie, il est trop tard : le tueur à gages est déjà à ses trousses... Mais, à Kiev, les solutions extrêmes peuvent prendre des détours inattendus !

Plus rien ne va dans la vie de Tolia : alors qu'il est au chômage, sa femme le quitte. Si son absence le soulage, il n’en sombre pas moins dans le désespoir : quel sens donner à son existence qui n’en a plus ? Dima, son compagnon de vodka, lui parle alors d’une profession d’avenir dans cette Kiev post-soviétique : Killer –comprenez Tueur à gages. Et c’est ainsi que, contre toute attente, il met un contrat sur sa propre tête. Détachement dû à un désespoir réel ? Volonté de se sentir vivant ? Toujours est-il qu’il ne lui reste que trois jours, trois petits jours. 

Mais comme la vie ne s’engage jamais sur les chemins attendus, l’amour frappe à sa porte. Lena entre dans sa vie. Vivre ? Mourir ? Tout n’est finalement qu’une question de choix. Mais si on peut bien mourir, comment bien vivre ? Et surtout, comment survivre ?

Peu d’éléments finalement dans ce très court roman, mais de très bons éléments, agencés à la sauce Kourkov. Je me suis laissée entraîner par le rythme des secondes qui s’égrainent, par cet homme qui se découvre, par l’angoisse suscitée par l’ombre du Killer, par le mystère de Lena, et par la vodka –et pourtant je déteste toujours autant la vodka- Et comme d’habitude, j’ai aimé… 

Le visage de cette Kiev est moins piqué d’acidité que dans le Laitier de nuit, du moins en apparence (l’une des professions d’avenir n’est-elle pas Killer ?). Il suffit de gratter un peu ce vernis pour que sa grisaille nous saute aux yeux. Le détachement initial du protagoniste, qui finit par envahir tout le roman est sans doute le plus sombre regard que l’on pouvait porter sur cette société. Rien ne vaut la peine, ou presque…

En effet, Kourkov a eu, une fois de plus, le talent de me surprendre. L’amour et l’amitié, le sens moral, la vie en somme, priment, mais pas forcément là où on les attend. Je suis définitivement conquise.